Retrouvez-ci-dessous le discours de François Decoster, Maire de Saint-Omer, pour la commémoration du 8 mai 1945.
Discours - Commémoration du 8 mai 1945
« Hier, j'étais à Erfurt, la capitale de l'Etat libre de Thuringe, ce Land allemand dont chacun connaît la ville classique de Weimar, patrie des poètes Goethe et Schiller.
La Thuringe, c'est la fabrique à penser, « die Denkfabrik », là où une République allemande s'est donnée sa première constitution, là où le Bauhaus a repensé l'architecture pour la faire entrer dans la modernité.
La Thuringe, ce sont aussi des noms terribles : Buchenwald, où 56.000 victimes de la barbarie nazie ont perdu la vie avant la libération du camp le 11 avril 1945, le camp de Dora, que nous connaissons bien, tant sa terrifiante activité était liée aux V-2 que le régime nazi voulait faire décoller de la Coupole.
Hier, j'étais à Erfurt, pour célébrer 30 ans d'amitié entre notre Région, la Picardie puis les Hauts-de-France, et ce Land de l'ancienne Allemagne de l'Est ;
Pour construire aussi de nouvelles coopérations, dans les domaines de la mobilité des apprentis, de la ruralité et de la culture ;
Pour, enfin, partager nos positions sur la future politique de cohésion européenne ou sur les prochains budgets de l'Union.
Mais hier, à Erfurt, un ministre-président d'un Land allemand a aussi voulu me parler du 8 mai, de cette date qui nous rassemble, de ce qu'elle représente pour lui, pour son engagement politique, pour le gouvernement qu'il dirige depuis bientôt 10 ans.
Bodo Ramelow me l'a dit, avec émotion et concision : « Le 8 mai, c'est la fin du fascisme », mais « le 8 mai », c'est aussi « le début de notre responsabilité ».
Notre responsabilité, voilà le mot.
Notre responsabilité, c'est « entretenir le souvenir», rappeler l'horreur, redire que « des fours crématoires ont été fabriqués à Erfurt», à moins de 20 kilomètres de cette République de Weimar qui voulait tourner définitivement la page de l'impérialisme et permettre enfin une paix perpétuelle.
C'est alors que les mots de Marc Bloch viennent bousculer ce discours de notre époque, pour en accentuer peut-être encore davantage la profondeur: l'Etrange défaite, c'était peut-être justement d'avoir voulu croire que la paix était devenue perpétuelle.
Dans son récit des combats de 1940, publié deux ans après son exécution par la Gestapo, le 16 juin 1944, il y aura 80 ans dans quelques jours, l'historien-résistant fait l'analyse des causes de la défaite de 1940.
Il y détaille bien sûr les insuffisances de nos armées, de notre renseignement, pointe la responsabilité du commandement. Mais il met aussi en avant un renoncement partagé, une irresponsabilité trop largement répandue.
Il l'explique, tout en s'en étonnant: « Le proche passé est (...) un commode écran: il (nous) cache les lointains de l'histoire et leurs tragiques possibilités de renouvellement.
Loin de ces époques barbares où le guerrier n'était pas seul à se faire tuer ! Parmi les populations de l'arrière, comme dans ses bureaux d'intendance ou de garnison, on voulait croire à la distinction des genres
On aurait pourtant eu quelques raisons d'en douter et, probablement, au fond des cœurs, n'y croyait-on pas si fort.
Car les avertissements n'avaient pas manqué. Nous les avait-on assez fait passer sous les yeux, dans les cinémas, ces atroces images de l'Espagne en décombres ? Nous l'avait-on assez raconté, reportage après reportage, le martyre des villes polonaises ? En un sens, on ne nous avait que trop avertis. »
C'est sans doute pour cela que les mots d'Erfurt ont si fortement résonné et qu'ils m'ont accompagné jusqu'à ce matin.
Nous souvenir, pour ne pas revivre les « tragiques possibilités de renouvellement», alors que l'Ukraine vit sous les bombes russes et les drones iraniens depuis plus de deux ans, alors que le Proche-Orient tout entier est sur le point de s'embraser.
Nous souvenir, ce 8 mai à Saint-Omer, c'est redire haut et fort que le sacrifice des Audomarois qui ont combattu pour la libération de notre Ville, dont nous célébrerons bientôt les 80 ans aussi, n'a pas été vain.
C'est s'interroger aussi : que nous diraient-ils aujourd'hui ?
Seraient-ils aussi définitifs que ce prisonnier français de Buchenwald, Georges Angéli, chargé de photographier les prisonniers à leur arrivée, et qui, au péril de sa vie, nous a livré des clichés pris en douce, qui ont permis au monde entier de voir toute la barbarie du camp au quotidien.
En 2005, au soir d'une vie consacrée au devoir de mémoire, il nous interpellait: « Regardez le monde dans quel état il est! Tout ce qu'on a raconté de l'horreur nazie n'a servi à rien ! ».
Que dirait-il dans le monde de 2024 ?
Nous souvenir, c'est encore ce que Simone Veil nous invitait à faire.
A peine élue Présidente du Parlement européen, elle rappelait: « La situation de paix qui a prévalu en Europe constitue un bien exceptionnel, mais aucun de nous ne saurait sous-estimer sa fragilité ».
Et déjà en 1979, elle ajoutait: « Cette responsabilité, les tensions qui règnent dans le monde d'aujourd'hui la rendent plus lourde ».
En nous inclinant tout à l'heure devant la mémoire des morts pour la France, nous ferons un acte de mémoire.
Soixante-dix-neuf ans ans après la fin des combats, leur sacrifice ultime nous oblige, à regarder le monde tel qu'il est, à entendre l'écho des avertissements de celles et ceux qui ont connu l'horreur de la Seconde Guerre mondiale.
Ils ont donné leur vie pour que cette destruction de l'Humanité par l'Homme ne se répète plus jamais. Ils l'ont fait pour nous, pour les générations qui viendront.
Nous souvenir, c'est notre responsabilité.
Et c'est aussi notre devoir envers eux.
Vive la République, Vive la France ! »
Commémoration du 8 mai 1945